Dans la lumière apaisée de la galerie Backslash, Odonchimeg Davaadorj déploie un monde en germination. Entre la terre et le papier, la peinture devient matière vivante : elle pousse, se ramifie, s’élève. One Breath, Many Voices invite à une traversée sensible où l’humain, la nature et la couleur s’entrelacent jusqu’à ne plus former qu’un seul organisme.

Les œuvres n’occupent pas simplement les murs… elles se prolongent dans l’espace, s’avancent vers le visiteur, se dressent comme des buttes de terre où la peinture semble prendre racine. L’atmosphère est douce, presque silencieuse ; quelque chose se forme devant nous, entre la matière et l’air. On a l’impression que la galerie toute entière s’éveille lentement, comme si un souffle végétal s’y diffusait. La scénographie accompagne cette impression d’éclosion. L’espace n’est pas construit comme un parcours linéaire, mais comme un champ de forces où chaque œuvre s’élève à son rythme. Les toiles et les papiers dialoguent sans hiérarchie ; certains visages apparaissent à hauteur d’œil, d’autres sont suspendus dans la lumière, comme en apesanteur. À mesure que l’on avance, l’échelle change : tantôt l’intime, tantôt le monumental. L’ensemble compose une respiration calme, mais traversée de tensions, d’élans, de verticalités fragiles.

Un motif revient souvent : celui du corps qui se fond dans la nature, ou de la nature qui prend forme humaine. Les frontières s’y effacent. Les couleurs diaphanes, les lavis transparents, la finesse du trait créent un monde poreux… on y voit à travers les corps, on perçoit ce qui les habite, leurs racines, leurs fluides. La peinture ne recouvre pas, elle révèle. C’est une pratique de dévoilement, presque chamanique, où la main de l’artiste cherche le point d’équilibre entre la chair et la plante, entre la mémoire et la matière. Soudain une œuvre s’impose : un garçon surdimensionné, couvert d’oiseaux, se tient debout sur une butte teintée de rouge. Ses pieds se dissolvent dans la terre, son regard, calme et frontal, capte la lumière. Autour de lui, les oiseaux semblent à la fois l’habiter et l’envelopper, comme une nuée protectrice. Le rouge sous ses pieds n’est pas violent… c’est un foyer souterrain, une chaleur contenue qui remonte du sol vers le corps. L’ensemble dégage une immobilité puissante, presque rituelle. Il y a dans cette figure une présence archaïque, une mémoire du monde antérieure aux distinctions… l’enfant, l’arbre, la sève, la lueur.

Courtesy Backslash

Courtesy Backslash
Dans toute l’exposition, cette hybridation du corps et du végétal se déploie avec une cohérence rare. Les œuvres dialoguent par résonance plutôt que par narration. Chacune prolonge la précédente, comme les rameaux d’une même plante. L’artiste ne cherche pas à imposer une vision, mais à créer un climat, une atmosphère de continuité. Le spectateur n’est pas face à l’œuvre… il y est pris, il en devient un élément. Cette porosité entre l’humain et l’espace donne au parcours une densité sensible. Les couleurs, souvent tendres mais jamais décoratives, ouvrent des zones de transparence. Des ocres légers, des bleus diffus, des rouges presque sanguins se mêlent dans des dégradés fluides. Les œuvres respirent entre elles, reliées par des espaces de vide, de silence. La terre, les volumes discrets, les jeux de lumière créent une continuité physique avec le sol. L’œil circule librement, comme porté par un mouvement souterrain. On passe d’une forme à l’autre sans rupture, comme d’une cellule à une autre au sein d’un même organisme. L’exposition devient un paysage intérieur, un lieu de passage où le regard s’enracine avant de s’élever.

Odonchimeg Davaadorj, née en Mongolie et vivant à Paris, transpose dans ce travail une pensée du lien… entre les êtres, les règnes, les mémoires. Son œuvre s’inscrit dans une filiation spirituelle plus que stylistique. On y retrouve une écoute du monde, une attention au vivant, une manière d’habiter la peinture comme on habiterait la terre. Rien n’y est démonstratif ; tout repose sur la justesse d’un geste, la lenteur d’une apparition. Ce qui reste c’est une impression d’unité. Non pas une unité figée, mais mouvante… celle d’un monde en croissance continue. Les œuvres donnent le sentiment que les matières, les formes, les regards… unissent leurs voix. Dans un temps où l’on se détache du vivant, l’artiste rappelle que l’art peut encore être une manière de renouer : de toucher, de sentir, de se souvenir que nous sommes, nous aussi, faits de la même substance que la terre et la lumière.
Jusqu’au 30 octobre
Plus d’infos :
https://www.instagram.com/backslashgallery/