“Notre «moi» est fait de la superposition de nos états successifs. Mais cette superposition n’est pas immuable comme la stratification d’une montagne. Perpétuellement des soulèvements font affleurer à la surface des couches anciennes.” M. Proust – A la recherche du temps perdu
Après une exposition automnale au Couvent des Cordeliers, Gian-Battista Lombardo et Julien Chivas reviennent en duo pour écrire une nouvelle histoire artistique au cœur de la Chapelle Saint-Michel… du 7 au 29 juin.

L’histoire et les êtres s’effacent et se répètent comme les mots qui succombent au temps et que l’encre charrie comme les vagues. Le Palimpseste… écritures et réécritures… ces lignes qui se contorsionnent comme la houle… c’est une marée qui s’en va et revient en déposant des sédiments sur la page. Soudain, l’hésitation nous prend entre faire table rase du passé ou simplement y ajouter une couche supplémentaire… notre avenir. Les œuvres exposées sont autant d’existences qui se débattent contre l’oubli, qui tentent de respirer à travers la surface du temps… cette seconde fugitive, liquide, qui nous file entre les doigts : l’instant présent.



Déjà, les visages semblent s’effacer ou se noyer en eaux troubles… un entre-deux flottant puisque l’on est pris entre l’apparition et la disparition. La peinture noire, opaque mais brillante, qui forme une ombre enveloppante comme une mare ou un linceul, accentue cette sensation d’immersion claire-obscure. Le contraste n’est pas sans rappeler les portraits photographiques sur fond noir qui font surgir la lumière du corps. Il y subsiste quelque chose de vivant… comme gratter l’épiderme pour retrouver les traits enfouis mais lisibles d’une humanité glissante, sans cesse perdue et renouvelée.


On fait face à un espace liminal où la symétrie et la régularité des œuvres suggèrent, un cheminement linéaire où les portraits sont autant de phrases dont les sculptures en métal deviennent la ponctuation. Plus abstraites, elles complètent et insufflent le rythme narratif… respirations et intonations de ces œuvres qui nous mènent vers le chœur… un chant liturgique où le métal apporte des touches chaudes de couleur comme une enluminure. Cuivre et argent… la forme devient ornementale et précieuse. Elle se fait tantôt l’écho de l’architecture tantôt celle de l’esprit… un outre-corps infini. Du quatrefoil gothique au cercle universel… il règne une grande harmonie dans cette alternance de toiles et de sculptures, comme un dialogue entre l’âme et le corps qui se conclut par un triptyque incarné aux visages multiples… un agrégat d’identités plurielles.

Quant à l’installation monumentale, elle se dresse comme un point de passage incontournable de l’espace pour rejoindre et ressortir chœur. La structure légère fait converger le regard vers un triple visage suspendu, moulé dans le plâtre à la manière d’un Janus observant devant et derrière lui. Autoportrait fusionnel des deux artistes, il suspend littéralement le temps au-dessus de nos têtes. Il nous fige collectivement dans cet instant présent… avant que d’autres expressions, d’autres rides, d’autres histoires… ne viennent s’écrire sur nos visages. Les artistes nous rappellent qu’au fond, nous sommes tous, à fleur de peau, des palimpsestes en mouvement… auteurs malgré nous… à la recherche du temps perdu…
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